Objectif

Ce colloque sur la transition énergétique se fonde spécifiquement sur l’observation de territoires concrets. Cette observation est articulée à une approche systémique, représentée ici par la notion de nexus, soit une logique d’interaction entre trois dimensions : la société, l’environnement et la technologie. Cette combinaison peut être activée dans un nombre varié de régions et de territoires, quelle que soit la technologie au centre du système énergétique. Elle permet d’appréhender la transformation des systèmes énergétiques, dans un contexte de territorialisation des politiques publiques et dans une perspective de durabilité réaliste.

 

Mots Clés :

Transition énergétique, territoire, nexus société technologie environnement, durabilité

 

Argument

Dans le contexte du changement climatique et de la volonté de réduire les émissions de GES issues d’un système largement dominé par les énergies fossiles, la transition énergétique peut apparaître comme un discours relativement consensuel dans les sphères politiques, économiques et médiatiques en Europe. Mais elle est aussi un concept contesté dans les sphères climato-septiques, comme en atteste le retait des Etats-Unis des accords de Paris. Des divergences persistent également quant à la définition concrète de son contenu (Hourcade et Van Neste, 2019). Ses objectifs diffèrent en effet, allant du maintien de la société d’abondance actuelle, jusqu’à la décroissance par la sobriété énergétique (Aykut et Evrard, 2017 ; Parrique, 2022). Par ailleurs les approches sociotechniques qui entretiennent un rapport rétroactif entre dimension technique et sociale (Simondon, 1958 ; Akrich, 1989) sont désormais insuffisantes pour prendre en compte les questions environnementales et la réalité des socio-écosystèmes en tant que systèmes complexes résultant d’interactions constantes entre dynamiques naturelles et dynamiques sociétales. Au-delà des débats théoriques, il nous semble essentiel d’être attentifs aux processus de territorialisation de la transition (Duran, 2020), à savoir son inscription dans des territoires concrets (Mattina et al., 2023 ; Meyer et Weber, 2024), dans la mesure où elle met en tension « des enjeux globaux, dont les références sont a-territoriales, et les enjeux locaux encastrés dans des systèmes d’action établis » (Bombenger, Larrue, 2014)

En regroupant, six Observatoires Hommes-Milieux (OHM) (Chenorkian, 2020) dont quatre en France et deux en Amérique du Nord, le programme ENERGON soutenu par le labex DRIIHM  (https://www.driihm.fr/) nous a permis d’interroger des reconfigurations très différentes induites par les changements de politiques énergétiques : qu’il s’agisse de l’arrêt d’une infrastructure énergétique majeure comme c’est le cas dans l’ancien Bassin Minier de Provence avec la fin d’une centrale à charbon (Daviet, Schleyer-Lindenmann et al., 2024) ou à Fessenheim en Alsace avec la fermeture de la centrale nucléaire (Meyer et al.2022) ; ou que la transition apparaisse comme un nouvel intrant dans les évolutions locales : nouveau barrage projeté dans la vallée du Rhône où la restauration du fleuve est en cours (Barthélémy et a. 2022), nouveau barrage créé dans le Nunavik (Nord Québec) ; essor du photovoltaïque dans le Pima County en Arizona (Le Tourneau et al, 2024), changement vers la filière bois-énergie dans le Pays de Bitche en Lorraine (Robin, 2022).

Ces cas d’étude (Daviet, Barthelemy et al, 2024) ont constitué des laboratoires permettant de mettre à l’épreuve la notion de nexus entre société, technologie et environnement. A l’image du « Water-Food-Energy nexus » (Urbinatti et al., 2020), envisager les transitions énergétiques comme un nexus « Société-Technique-Environnement » amène à accepter qu’une action sur l’une de ses composantes ait un impact sur les deux autres. Tout projet de transition énergétique se compose alors de ces trois éléments et il en va de même pour leurs impacts. En ce sens, l’approche par les nexus (définis en tant que liens, interrelations) permet de « casser les silos disciplinaires » (Cairns et Krzywoszynka, 2016) pour élaborer une méthodologie intégrée, adaptée à l’échelle territoriale, aux matérialités de la transition (Forget, Bos, Carrizo, 2021), et aux flux de ressources (métabolisme territorial). Cela permet d’évaluer les conséquences des transitions énergétiques sur les socio-écosystèmes (Cumming et Collier, 2005 ; Ostrom, 2007).

Les reconfigurations techniques renvoient aux mutations des systèmes énergétiques et aux processus de décarbonation (dans un continuum production/transport/usage). Les reconfigurations sociétales, au sens large, comprennent les réseaux d’acteurs publics et privés (Velut, Ghorra Gobin, 2006 ; Perrin & Bouisset, 2022), les politiques publiques, les modèles économiques. Les reconfigurations environnementales comprennent la redistribution des espaces et de leur usage, les mutations paysagères, la pression sur les ressources et plus généralement la recomposition des milieux. Chaque composante (technique, sociétale environnementale) a ses temporalités et rencontre des freins, des impulsions, des effets de seuil ; d’où des crises qui sont des moments de tension et de déséquilibres.

Le présent colloque ambitionne l’analyse d’un large panel d’exemples territoriaux à travers cette approche nexus, afin de mieux appréhender les modalités de leurs reconfigurations. Parmi ces modalités, quelques questions clés :

  • Axe 1 : Est-ce que ces reconfigurations s’effectuent dans des contextes conflictuels ou consensuels, quelles sont les modalités de concertation et de débat public ?
  • Axe 2 : Ces reconfigurations manifestent-elles une dépendance au sentier ou une capacité à créer de nouveaux chemins via des dynamiques d’innovation ?
  • Axe 3 : Les rapports entre enjeu climatique et biodiversité présentent-ils des synergies ou s’avèrent-ils plus complexes ? Comment se pose la question des ressources ?
  • Axe 4 : Quid de la reconfiguration de l’échelle de gouvernance et de fonctionnement des systèmes énergétiques ? Quelles articulations entre local et régional ?

En explorant ces questions, le colloque cherche à comprendre les interactions complexes qui se nouent entre les dimensions sociétales, technologiques et environnementales des transitions énergétiques. 

Références

-Akrich, M, 1989, « La construction d'un système socio-technique. Esquisse pour une anthropologie des techniques », Anthropologie et Sociétés, vol. 13, no 2,‎  1989 (ISSN0702-8997DOI10.7202/015076ar).

-Aykut S. C., Evrard A., (2017), "Une transition pour que rien ne change ? Changement institutionnel  et dépendance au sentier dans les « transitions énergétiques » en Allemagne et en France", Revue  internationale de politique comparée, Vol. 24, N°1, 17‑49

-Barthélémy C., Comby E., El Arch Y., Bricard A., Poral M.C., Biré L., Faure L., Picon G. 2022. Le renouvellement de la concession de la Compagnie Nationale du Rhône : qui participe et pour quel développement du fleuve ?, Congrès ISRIVERS, Lyon, Juillet.

-Bombenger P-H., Larrue C., 2014, Quand les territoires font face aux nouveaux enjeux de l’environnement, Natures Sciences Sociétés, 22, 189-194 (2014)

-Cairns R., Krzywoszynska A., (2016), "Anatomy of a buzzword: The emergence of ‘the water-energy-food nexus’ in UK natural resource debates", Environmental Science & Policy, Vol.64, 164‑170.

- Chenorkian R., 2020, Conception and implementation of interdisciplinarity in the Human-Environment Observatories (OHM, CNRS), Natures Sciences Sociétés, Vol. 28 (3), 292-305, https://shs.cairn.info/journal-natures-sciences-societes-2020-3-page-292?lang=en

-Cumming, G. S., and J. Collier., (2005), Change and identity in complex systems. Ecology and Society 10(1): 29. [online] URL: http://www.ecologyandsociety.org/vol10/iss1/art29/

-Daviet S., Schleyer-Lindenmann A., Raynal J.C., Batteau P., Noack Y., 2024, The Provence Coalfield: trajectory, assessment and prospective. Comptes Rendus. Géoscience, Online first (2024), pp. 1-16. doi : 10.5802/crgeos.223.

-Daviet S., Barthélémy C., Haillot D., Le Tourneau FM., Meyer T., Robin V., Noack Y., 2024, La Transition Énergétique dans les Observatoires Hommes-Milieux, 19 pages, https://hal.science/hal-04918825

-Duran, P., 2020, « Territorialisation », in Dictionnaire des politiques territoriales, pp 529 à 537, sous la direction de Romain Pasquier, Sébastien GuigneretAlistair Cole, Presses de Sciences Po, 628 pages

-Forget, M., Bos, V. et Carrizo, S.C., (2021) « Les matérialités de la transition énergétique en montagne : pour une approche critique », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], 109-3 | 2021, mis en ligne le 31 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/rga/9424 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rga.9424https://doi.org/10.3917/scpo.pasqu.2020.01.0529

-Hourcade R., Van Neste S., (2019), "Où mènent les transitions ? Action publique et engagements  face à la crise climatique", Lien social et Politiques, N°82, 4‑26.

-Le Tourneau et al. 2024, The socio-ecological complexity of facing climate change: a case study from Pima County (Arizona, USA), Compte-rendu Géosciences, pp. 1-19.

-Mattina C., Bini E., Curli B., Fournier P., dir., 2023, Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France, Paris, Karthala/MMSH, 352 p.

-Meyer T., Vallerand F., Bour V.Dauwe C., Erne-Heintz V. et Schellenberger T.,2022 « Produire les échelles de la transition à Fessenheim : contingences et jeu d’acteurs autour de la fermeture d’une centrale nucléaire », L’Espace Politique [En ligne], 43 DOI : https://doi.org/10.4000/espacepolitique.9674

-Meyer T., & Weber F., (Ed), 2024, Energy Geographies: Negotiating the French-German Interface, Springer Nature, 292p, DOI : https://doi.org/10.1007/978-3-031-69797-5

-Robin V.,. (2022). Projet Energon, transitions énergétiques et reconfigurations des socio-écosystèmes , in Cinquième séminaire de restitution des travaux de l'OHM Pays de Bitche. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/06c7-gv21.

-Ostrom E., (2007), « A diagnostic approach for going beyond panaceas », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 104, n° 39, p. 15181-15187

-Parrique, T. (2022) – Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance, Paris, éditions du Seuil, 320 p.

-Perrin, J.A, Bouisset C., Emerging local public action in renewwable energy production. Discussion of the territorial dimension of the energy transition based on the cases of four intermunicipal cooperation entities in France. Energy Policy, 2022, 168, pp 113-143 ⟨10.1016/j.enpol.2022.113143⟩⟨hal-03723310⟩

-Simondon, G., 1958, Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958; dernière réédition corrigée et augmentée, Paris, Flammarion, 2012.

-Urbinatti A. M., Dalla Fontana M., Stirling A., Giatti L., (2020), "‘Opening up’ the governance of  water-energy-food nexus: Towards a science-policy-society interface based on hybridity and  humility", Science of The Total Environment, Vol.744, 140945

-Velut, S., Ghorra Gobin, C. « Les rapports public-privé, enjeu de la régulation des territoires locaux », Géocarrefour, Vol. 81/2 | 2006, 99-104.

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